Hier, écrasée
par la chaleur dans la maison, fatiguée par une nuit courte, me traînant sans
efficacité, je décidais, comme c’était dimanche, d’aller à la mer. Je descendis
donc de la montagne, et conduisis jusqu’à la plage du port. Dès que je fus
entrée dans l’eau, je compris que j’avais eu raison de venir. La brume qui m’opacifiait
le cerveau s’est dissipée, au fil des longueurs au dessus des coraux. En fin d’après-midi,
je décidais de remonter jusqu’à chez mon amie, quand ma voiture me conduisit à
une plage plus sauvage. N’écoutant que mon intuition, je décidais de prolonger
encore un peu ma journée de plage, et de m’installer tout près de l’eau, face à
un splendide coucher de soleil.
Je me sentais si paisible… En nageant dans cette eau limpide, des pensées lumineuses surgirent de moi avec fulgurance, tels des flashs d’impression. Quoiqu’il arrive, j’ai confiance en la vie. Une confiance infinie, sans limites de temps ou de degrés. Illimitée. Intemporelle. Disponible en moi depuis toujours, et pour toujours. J’ai su clairement, par un effet de tout mon être, et pas seulement par mon mental, que toujours, je pourrais trouver ce refuge en moi-même. Partout sur la planète, à n’importe quel moment, et quelques soient les circonstances. Oui, quoi qu’il arrive, quels que soient les obstacles, les épreuves, les deuils… Tant que je suis en vie, la vie m’amènera ce qu’il me faut, donc nul besoin de m’inquiéter.
Ma compréhension
de la vie en général était si forte. Et en observant les poissons, j’ai soudain
senti ma mère près de moi, comme pour me dire qu’à l’instant où je réalise avec
joie que même en ayant perdu l’être le plus cher, je suis heureuse. Que culpabiliser
est stérile ! Au contraire, soit joyeuse, vivante ! me dit-elle. Dans
ce moment d’acceptation totale, je la sens nager avec moi, faire la course, me
devancer, puis se faire rattraper. Nous observons les poissons ensemble, elle
est ravie, émerveillée ; moi aussi. On s’amuse ensemble, je me sens si
gaie. Nous sortons de l’eau, et là, sur la serviette, je sens une complicité
intense, nous contemplons le ciel ensemble, en parfaite communion. Je suis tellement
heureuse qu’elle soit avec moi, nous allons rentrer tout doucement. Je lui demande
un massage pour quand nous serons couchées, comme j’aimais tant petite, et que
je n’en avais jamais assez. Elle ne veut pas m’embarrasser, elle ne m’avait pas
prévenue de sa visite… mais je lui dis qu’elle dormira avec moi, chez mon amie,
qui est si accueillante avec moi. Je me fais une joie de la soirée que nous
allons passer ensemble. Elle semble rassurée que je sois si bien hébergée,
depuis que j’ai reloué ma maison. Elle me sent bien. Je suis si joyeuse, je
conduis en observant les stries roses du ciel, et la brume au-dessus du Piton
des Neiges.
En arrivant
dans le village, ayant une véritable impression de procéder à une visite guidée
de mon Île, sans réfléchir, j’allume la radio - ce que je fais rarement en
voiture. Et là, magie, inespérée : un chant soufi par Nusrat Fateh Ali
Khan, cet immense musicien. Ici, sur cette verdoyante petite route en lacets, en
même temps que s’élève sa voix enchanteresse et que les darbukas résonnent, c’est
tout le Maghreb qui s’éveille en moi. Ma mère me sourit, elle me prend la main.
Des larmes coulent sur mon visage, je ne sais même pas d’où elles viennent. Une
telle gratitude m’envahit. Comme une transe qui m’emporte en Algérie, terre de
naissance de ma mère, qu’elle a quitté à douze ans, et qui coule dans mes
veines aussi, alors que je n’y suis jamais allée. Tout se réveille : le
minaret, la chaleur, les tams tams, les femmes voilées…cette chaleur humaine, l’essence
même de ce pays, en fait… je n’ai pas de mots. Comme quand j’entends le muezzin
chanter à St Pierre, et que j’ai ce sentiment fort d’appartenance, venu du fond
des âges. Mais là, ce hasard magique est le plus merveilleux des cadeaux pour
célébrer cette connexion impromptue avec ma mère.
Cette photo, c'est mon ordinateur qui l'a choisi tout seul, et même si cela n'a rien à voir de prime abord, je n'ai pas eu le coeur de la supprimer ! C'est le bébé de Fideua. |
La soirée a
été belle, paisible. Je me sentais excitée par cette connexion, car maman n’était
jamais venue dans mon Île. Je suis si heureuse qu’elle l’ait vu. Si heureuse d’avoir
pu partager cela, une semaine avant mon grand départ.
Aujourd’hui en
regardant la date sur mon téléphone, j’ai constaté qu’hier était la date
anniversaire de sa mort. C’est la première fois depuis seize ans que je ne suis
pas déprimée en cette période. Au contraire, je me sens accompagnée, pas du
tout seule. Je ressens une vraie complicité, une amitié. J’ai hâte qu’elle
découvre San Francisco avec moi. Elle m’a promis que je n’y serai pas seule, et
qu’elle veillerait sur moi.
So cool !
EM
Tu m'as émue tellement...ça a du être incroyable, j'arrive à sentir ce que tu décrives, tellement c'est vraie et fort et beau.
RépondreSupprimerCette confiance qui parfois disparaît, mais que comme tu dis, est avec nous toute une vie, pendant chaque moment et à chaque endroit...des fois je la perds aussi, mais les moments de communion comme tu as eu, je crois qu'ils restent au fond du coeur pour faire que jamais on oublie completement.
Ta mère...ce dialogue à travers la nature,...merci pour ce très joli écrit qui me parle de très près. Profit là, tu l'as plus proche de toi que beaucoup d'autre gens qui l'ont encore en vie.
Je t'aime