jeudi 23 mai 2013

LOVELY DOLL ou Du rôle de Barbie chez les filles - Essai socio-psycho-ethno-littéraire -

      1983. Recevoir ma première Barbie, vers l’âge de cinq ou six ans fut un véritable enchantement, un rite de passage vers le monde des femmes et marque le début d’une longue histoire d’amour. Mon parrain adoré, sorte de gros papa noël barbu, m’a couverte de Barbies et de tous ses accessoires - mobylette rose à paillettes, avec casque rose, qui a tant fait rire (sans raison !) les adultes autour de moi, cuisine intégrée avec mini canettes de coca dans le frigo, mini casseroles et poêles à frire, Golf cabriolet décapotable tout plastique, piscine, camping-car... Oh, que de réalisations possibles avec mes Barbies ! Elles vivaient dans le monde que j’avais envie d’explorer, et m’ont permis de réaliser mes fantasmes. Elles furent un des catalyseurs qui m’ont délivrée de mes envies consuméristes et superficielles à l’âge adulte, les ayant vécu totalement au travers d’elle ! Barbie vivait le rêve américain, tel qu’il apparaissait à la TV, et était ma porte d’accès à ce monde-là, moi qui évoluais entre un père peintre et une mère psy, à la campagne, mangeant les légumes du jardin et allant à pied à l’école communale.

                              


    Dans un de mes premiers souvenirs avec « elle », le fils d’un ami de mes parents, plus âgé que moi de quelques années, me demande en souriant si ma poupée s’appelle vraiment « Brigitte Bardot ». Ce garçon m’impressionne, il est comme un adulte pour moi, et je le trouve beau. Se moque-t-il ? Je ressens de l’ironie, alors qu’il n’y a qu’amusement et affection. Je me souviens juste avoir rougi et m’être sentie dévoilée dans mes aspirations les plus secrètes, par le biais de ma blonde poupée.
    Salvatrices, initiatrices de la féminité, démiurges de mon monde intérieur, elles étaient les actrices des histoires d’amour passionnelles qui bouillonnaient en moi, tout autant que les que des concrétisations plus pragmatiques comme l’installation de son premier appartement. Elles, elles n’avaient pas à avoir honte : elles étaient, elles vivaient ce que bon leur semblait, ce que mon cœur leur dictait. Des premiers émois aux premiers câlins, ou à la première scène de jalousie. Chacune de ces poupées a dû concentrer une énergie folle en matière de sexualité. Tous mes rêves, mes fantasmes, mes envies de vies futures, toutes mes projections ont été comme emmagasinées dans ce corps rigide ... Tout mon devenir de femme adulte se concentrait dans ce morceau de plastique aux formes protubérantes, vénus Hottentote  du XXème siècle… Totem magique, condensé brut de chair imaginative et débridée, Barbie, avec ses longues jambes, ses beaux seins et son maquillage tatoué à vie, est une héroïne d’Almodovar, déesse de la féminité outrancière et icône pour gay. Cette féminité si outrée qu’on ne peut qu’en jouer. Ce paroxysme a infusé en moi, libérant un côté insouciant car heureux d’être, de la femme jolie et qui aime séduire. Barbie incarne le concept de la beauté pour une petite fille occidentale. Physiquement, cette poupée m’a peut-être un peu modelée. Je l’ai tenue dans mes mains pendant de nombreuses années, comme un morceau de glaise auquel je donnais une forme ; Dieu, faites que mes seins soient comme les siens, que mes jambes soient aussi longues, que mes cheveux soient aussi blonds et longs ! Et Dieu créa la femme !
    Je n’avais que deux Ken, le mâle de la Barbie, en comptant celui de ma sœur. Nous composions donc avec deux hommes pour vingt femmes, notre cheptel au total. Le Ken étant rare à Noël, car présentant finalement un intérêt réduit – pas de cheveux à coiffer, pas de formes arrondies à parer, bref, il ne m’amusait pas du tout. Les histoires s’en ressentaient forcément : bagarres et manigances allaient bon train, car du fait de sa rareté, Ken avait le privilège d’être très demandé. Sa vie n’était pas si rose (couleur de son nœud papillon), son rôle se limitant à être un faire-valoir pour la plus belle Barbie, lors de sorties chics. Il avait tout de même la chance de participer à quelques ébats amoureux avec elle, où avec mes petites voisines, nous nous échangions tous les secrets sexuels que nous connaissions. Barbie était libre de tout faire, et elle s’en donnait à cœur joie, à deux, trois ou plusieurs !
   Mais alors, devient-on comme Barbie en grandissant ? 




     Pour ma part, à vingt ans, mes cheveux étaient longs, ondulés et blonds (grâce aussi à quelques mèches), mes seins opulents, mes jambes minces, un sourire collé sur mon visage maquillé. De là à dire que je ressemblais à Barbie, non. Mais tout de même, je me rapprochais de ce canon de beauté qui m’avait modelé inconsciemment. La douceur de la femme qui cherche à plaire et à satisfaire son partenaire, était-ce Barbie ? Sans nul doute, je m’en approchais aussi.       
    Quand je pense à une amie américaine, danseuse et plasticienne, blonde au corps massif, longues Dread locks piquées d’ossements d’animaux, piercing à tous les étages, venant des froides montagne de l’Oregon, aimant vivre nue, ne s’étant jamais épilée de sa vie… qui, pour son premier jour en Fac à Berkeley, tombe sur une ancienne camarade d’école primaire, qui lui saute dessus en lui demandant : est-ce bien toi, Jess, celle qui avait la Barbie Dream House ?! J’ai éclaté de rire, imaginant ma grande Viking jouant de tout son cœur avec sa maison de rêve rose…


    Barbie est comme tout le reste. Pour en extraire sa substantifique moëlle, il suffit juste de ne point en abuser, de rester ouvert à d’autres jeux, de continuer à construire des cabanes dans les bois. Avec elle, on explore sa féminité, dans son archétype le plus marqué. Je « jouais » avec toute mon âme, et les histoires étaient « entièrement vraies, puisque je les avais imaginées d’un bout à l’autre* ».
 J’ai été Barbie, ou plutôt, Barbie a été moi.

                                                                                                                           EM « chevelure magique »


*pour reprendre les mots de Boris Vian

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