jeudi 29 août 2013

L'HISTOIRE D'ALI (Part. 11)

     Ali avait décidé de changer d'appartement, car le sien lui sortait par les yeux depuis la mort de sa mère. Elle y avait installé, alors qu'elle était encore un peu lucide, les petits rideaux blancs à carreaux bleus qui ornaient les fenêtres du salon. Châlon aussi lui sortait par les orbites. A dire vrai, tout l'ennuyait dans sa routine, y compris son travail. Il se traînait à l'agence sans enthousiasme, se répétant à l'envie : "Il faut bien gagner sa croûte", dicton que Youssef s'était plu à scander toute sa vie. Depuis la mort de sa femme, celui-ci était devenu complètement taciturne. Il n'avait jamais été ni prolixe ni très enveloppant avec son fils, mais là, il battait des records. Bien que dans la même ville, ils se voyaient moins d'une fois par mois, et parfois seulement pour 10 minutes. Ali avait bien noté qu'au delà d'une heure passée à son contact, il se sentait mal... mais n'avait jamais su dire exactement pourquoi. "C'est facile, lui avait dit un jour sa petite amie de l'époque, la liane rousse, moi, ton père, il me fout les jetons. Il parle pas, il a l'air austère, et puis après 3 verres, il parle haut et fort, coupant la parole à tous le monde... et puis ses remarques ironiques assassines, je dis non merci !" Elle avait fini en fac de psycho à Dijon, elle avait le goût du diagnostique.

    Cette après-midi, Ali allait récupérer un carton de partitions entreposé dans la pièce qui lui servait de chambre, dans l'appartement familial.
"-Salut papa, c'est moi, dit Ali en rentrant.
- Tu bosses pas ?
- J'ai fini plus tôt. Je vais prendre le carton.
- Ouais, ça m'encombre, tes merdes. Tu ferais bien de tout débarrasser aujourd'hui.
- Aujourd'hui ?
- T'as cru quoi ? Que c'était un garde meuble, ici ? T'es chez moi, ici, je te signale."

   Ali contempla l'air furibond de son vieux père, et eut un énorme soupir de fatigue. C'est sûr que rester seul dans 140m2, ça n'aide pas à partager l'espace, mais même à quatre, ç'avait toujours été ainsi. Ali ne s'était que difficilement senti chez lui, et quand il franchissait le seuil de l'appart, il retrouvait cette impression. Même l'air était oppressé. Pas de paix possible, pas de relâchement. Un état de tension continue.

    Son père entra dans sa chambre, ce qui ne laissait présager rien de bon :
  - "J'aurais mieux fait de tout balancer. T'as pas autre chose à foutre, à 24 ans, que de tripoter ta guitare ?
   - Putain, mais c'est de l'acharnement, dis moi ! Laisse moi ranger mes affaires.
   - Allez, dégage tout ça rapidement !
   - C'est quoi le problème ?
   - Ton comportement.
   - Et il a quoi mon comportement ?
    - Mon pauv' garçon, tu me fais pitié, voilà ce qu'il y a...
    - T'en as pas marre de me descendre ? 
    - Mais faut bien que quelqu'un t'ouvre les yeux ! Si tu savais ce que disent les voisins...
    - Ah ouais ? Ben pour ce que je m'en tape ! 
     - Mais y'a ptêtre un moment où tu vas réaliser... je suis pas le seul à penser que t'as un problème de comportement. Ton frère pense comme moi...
     - Fous moi la paix, laisse moi ranger !" hurla Ali en se levant d'un bond, et en poussant Youssef hors de sa chambre.

  Ali avait hâte de sortir de là, et en même temps, il tenait à ses partitions. Son père avait toujours pris un malin plaisir à le spolier. Il aimait à dire aux voisins que son fils ne venait jamais le voir, qu'il était ingrat, mais dès qu'il venait, il le malmenait. Invraisemblable, pensa Ali. On dirait que ça le défoule un peu de sa rage de me pourrir la vie. Me bafouer semble le détendre... songea-t-il en observant le rictus ironique plaqué sur le visage de Youssef. Celui-ci était adossé contre le mur dans l'entrée, les bras croisés, et claqua la porte dans le dos de son fils avec un dernier "pauv' gars, va", doublé d'un petit rire sardonique. 
"Sympa, le vioque, pensa Ali, en contemplant son visage dans le miroir de l'ascenseur. J'en peux plus de servir de punching ball à toutes ses frustrations. Je crois bien que c'est la dernière fois que je le vois."

  Il se sentait vaguement irrité, mal, révolté, blasé, dégoûté. Bye, bye, espèce de vieux tyran domestique...  arrivé chez lui, Ali saisit sa guitare et composa un blues qui sonnait pas mal du tout, avec un refrain :
" Des tyrans qui tyrannisent
et des pauvres qu'on popérise
Une musique qui lancine
Un fasciste qui fascine..."

  Il songea soudain qu'il était presque l'heure du concert de Simone.
                                                                                                                                                  EM

dimanche 25 août 2013

JAZZ OU ANTI CONFORMISME

    Le jazz est une musique qui privilégie l'improvisation. Après un stage intense d'une semaine à Cluny et un concert pour rendre notre travail, une porte s'est ouverte à moi : chanter, composer, jouer... avec d'autres musiciens passionnés. 

  Emerson (un des philosophes américains du 19ème les plus célèbres) a cette injonction : "Aie confiance en toi." Il s'inscrit contre le conformisme ambiant et propose de se démarquer de la société, afin de trouver sa propre voix : "La société n'a qu'aversion pour la confiance en soi. Elle n'aime pas les réalités et les créateurs, mais les noms et les usages".  Il prône donc de vivre selon sa nature, et celui qui agira ainsi, s'appliquant à sa tâche, connaîtra une sérénité enjouée. 

   De l'ordre de celle que je sens quand j'écris, ou quand j'improvise en théâtre ou en musique. Cette semaine, je me suis sentie plus en phase que jamais, car j'ai eu la chance d'avoir un professeur (un musicien, percussionniste et compositeur ultra-inventif) qui a su me laisser exprimer mon univers, et m'accompagner dans ma recherche. J'avais quelques  appréhensions car rien n'était gagné au début, la 60aine de participants étant pour la plupart de bons musiciens, sortant de conservatoire ou ayant une pratique assidue de leur instrument. J'ai commencé avec le clavier, et rapidement, c'est la voix qui s'est imposée pour moi.

   Finalement, forte de cette expérience où ma joie de vivre était au beau fixe, malgré la fatigue, je sais plus que jamais combien j'existe pour réaliser ce que je suis. "Ma vie existe pour elle-même et non pour la parade, je souhaite vivre et non pas expier"' dit Emerson. Mais oui, Emerson, tout à fait, mon ami, la vie humaine, terrestre, animale, biologique, LA VIE dans son ensemble sert à VIVRE, pas à se sacrifier, à se mutiler, à se détruire, à obéir à des injonctions qui ne nous conviennent pas !

  Le chemin que j'ai pris est de plus en plus beau, car de plus en plus vrai. Les passages difficiles me laissent parfois exangue,  mais qui a déjà pensé que gravir l'Everest était facile ? 
La difficulté même devient facile dès lors qu'elle est acceptée comme faisant partir du chemin.  

   J'ai tant appris en ces 3 mois en Bourgogne. J'étais venue chercher un chez-moi, des souvenirs, une appartenance, une légitimité, des racines, des réponses, des explications, avec des paysages, des vieilles pierres, des gens, et j'ai trouvé que chez moi, c'est partout où je décide de m'installer et où je peux être vraie. J'avais besoin d'être accueillie, en réparation de bien des souffrances passées.

  Peinture, chaux, théâtre, vidéo, chant, composition, performance vidéo et musicale... et même serveuse dans un restau, j'ai touché à tout ce qui me plaît et m'anime profondément. J'ai suffisamment de cartes en mains pour jouer ma partition encore longtemps... Les idées sont infinies, ma créativité est comme une batterie qui se recharge quand on l'utilise. 

  PS : Ecoutez Une petite histoire de l'Opéra par LAurent Dehors( Concert hier soir FABULEUX), un grand instrumentiste, un des profs du stage, reprenant les grands airs d'opéras, de manière totalement barrée. 

                                    Et toujours sur un petit air de jazz....
                                                             EM

jeudi 22 août 2013

L'HISTOIRE D'ALI (Part 10)

   Ali s'était remis consciencieusement à son instrument, et passait chaque heure libre à jouer et composer. Il savait qu'il pouvait retrouver son niveau, et il était déterminé à faire quelque chose avec la musique. 

Un soir qu'il prenait un verre dans un bar, accoudé au comptoir, une jeune femme s'approcha et demanda au barman si elle pouvait jouer là le samedi suivant, comme ils en avaient apparemment convenus oralement.  Le barman appela le patron, et Ali ne put suivre le reste de la conversation, car ils allèrent s'installer dans une pièce à côté. Au bout d'un moment, il entendit une mélodie et quelques bribes d'air jazzy, avec de drôles de sons d'éternuements. Il voulait revoir la jeune femme, avec sa drôle de coupe de cheveux et sa robe jaune canari.

Quand elle revint, le patron lui offrit un verre, et elle s'installa au comptoir. Elle semblait contente.
    "- J'ai cru comprendre que tu es chanteuse ? demanda Ali, avec un peu d'appréhension, elle avait l'air concentrée sur un carnet.
    - Disons que je chante, oui.
    - Heu bonjour, je ne me suis même pas présenté : Ali, enchanté.
   -  Simone de mon nom de scène, ravie.
  Ali éclata de rire en entendant ce vieux prénom, en parfait décalage avec la fraîcheur de la jeune femme.
     - Sympa ! s'exclama-t-elle. Je te fais rire ?
  - Ouais, tu dénotes, ici. Que chantestu ?
   - Viens samedi prochain, tu verras...
   -Compte sur moi. Je suis guitariste, j'admire ton courage de faire les bars. C'est ce que je veux aussi.

Après avoir bavardé quelques minutes, Simone eut un appel et fila à l'anglaise; laissant Ali songeur...

                                                                                                                                                    EM

dimanche 18 août 2013

L'HISTOIRE D'ALI (part.9)

     Morne mornitude longitudinale...
   Ali s'était réveillé avec ces étranges mots dans la tête. Il avait rêvé qu'il chantait devant un public silencieux, dont il ne savait pas s'il appréciait ses chansons ou pas. "Avec des paroles pareilles, tu m'étonnes qu'ils soient dubitatifs, les gens..." s'amusa-t-il.

   La mort de sa mère l'avait laissé comme exsangue. Il avait du mal à sourire spontanément, et gardait un visage figé. Il allait mettre son nez dans l'armoire de vêtements de celle-ci, afin de soutirer les derniers instants de présence olfactive possible. Il avait envie de pleurer, mais ça ne sortait pas facilement. La nostalgie n'était-elle pas le manque de quelque chose qui justement, nous a manqué toute notre vie ? Quelque chose dont on s'est fait une idée, dont on s'est illusionné, mais qui dans la réalité ne donnait pas autant de joie et de bien-être que ce que l'on pensait ? Ali ne gardait aucune nostalgie des moments simples et heureux de son existence. Il se souvenait par exemple très bien de deux nuits mémorables avec deux filles différentes, où c'était du sexe pur, désintéressé, et où il avait juste pris son pied, sans remord. Il gardait un souvenir agréable des deux filles, sans y penser plus que cela par la suite. Ils avaient pris du plaisir, des deux côtés, et tout avait été entier, sans attentes, donc sans frustration. Avec Ninke c'était pareil, ils avaient eu 3 jours merveilleux, et il ne repensait pas à elle avec tristesse, mais au contraire, avec joie. Tandis qu'avec Alice, la rouquine, il en avait bavé. Il avait souffert avec elle, car il n'osait pas lui dire qu'il l'aimait, il ne la sentait pas prête à s'engager. Plus elle fuyait, plus il se sentait accro. Débile. Ils se disputaient beaucoup, rien n'était jamais simple. Et quatre ans après, il pensait encore à elle. La vérité, c'est qu'ils n'étaient pas heureux ensemble, et que cela avait manqué à Ali, alors il était nostalgique. Celles avec qui ça avait été simple, et agréable, il n'y repensait qu'un peu, ça n'encombrait pas sa mémoire. Elles ne lui manquaient pas. Putain de vie ! songea-t-il.

     C'est comme le Youssef. Il ne parlait plus à sa femme depuis des lustres. Il ne la regardait plus. Déjà avant son Alzhaimer, il devait avoir quelques maîtresses, avait pensé Ali, car il l'avait croisé en ville avec une femme sans qu'il le voit, et sa mère paraissait bien amère. Ali s'en fichait éperdument. "Grand bien lui fasse, si ça peut le détendre un peu..." La phrase des Valseuses lui revint en mémoire : "On est pas bien, là, détendu du gland ?"... ou quelque chose dans ce goût là. La classe, ces deux gars. Depardieu l'avait toujours impressionné, et depuis qu'il l'avait entendu se dévoiler dans une émission de radio, il l'aimait beaucoup. Les gars qui marquent ont toujours un truc en plus.... songea-t-il... un truc plus profond... ils restent pas en surface... quelque chose de spirituel, presque... 
    
   Et ben son père avait l'air dévasté par la mort de sa femme. Il traînait son marasme dans l'appartement, restant parfois couché des jours entiers. Morte, elle prenait toute la place. Vivante, elle était quantité négligeable.

  Il était allé sniffer les foulards et les robes de sa mère cette après-midi là, car Youssef faisait venir Emaüs, afin de faire du vide. Ali ne savait pas quoi garder. Quel objet pouvait bien symboliser sa mère ? Une bague ? Une robe ? Il opta pour un pull d'enfant à moitié tricoté, qu'elle avait commencé pour lui, jamais fini. Il se dit qu'il le mettrait sur son fils si jamais il en avait un, juste pour lui dire : c'est ta mamie qui l'a fait.
                                                                                                                                                   EM

mercredi 14 août 2013

Petite prière à se rappeler les mauvais jours ( et les bons aussi )

Etre riche d'amour
Donner sans compter
Multiplier la joie
En regardant
En écoutant
En touchant.
Se sentir en vie
Connecté aux autres, à la nature, à l'univers ;
Rire
Sourire
Remercier d'être juste... en vie.




jeudi 8 août 2013

L'HISTOIRE D'ALI (part 8.)

   Le lendemain, alors qu'il était à son bureau, les doigts encore engourdis par la journée de guitare de la veille, son portable sonna. Son père au bout du fil :
"- Allo, c'est moi. Ta mère est au plus mal à l'hôpital, les médecins disent que le coeur est en train de lâcher.
 - Quoi ? Merde. Depuis quand ?
  - Quoi, depuis quand ?! Je répète ce que les médecins ont dit. Tu ferais mieux de te dépêcher.
  -  J'arrive."

   Le temps d'attraper son sac et de prévenir son supérieur, Ali se rendit à l'unité de soin où sa mère se trouvait depuis des années. A l'accueil, ils lui indiquèrent le service de cardiologie où elle avait été transférée. Elle y était depuis deux jours, dans un état très critique. L'infirmière lui dit qu'il aurait pu la voir consciente la vieille encore, et qu'elle demandait ses fils. Ali lui dit qu'il ne venait de le savoir qu'à l'instant. 

   Il se tourna vers elle : immobile, elle avait les yeux fermés, on aurait dit qu'elle dormait paisiblement, si ce n'était le teint bleuâtre qu'elle arborait. Il s'assit et lui prit la main. Son père entra dans la chambre avec un gobelet à la main.
   " - Bonjour papa.
      - Bonjour."

Youssef s'assit de l'autre côté du lit, sur le fauteuil, et sortit le sucre de son emballage, avant de touiller son café. 

"- Elle est inconsciente. Elle ne nous entend plus ? demanda Ali
 - Tu vois bien...
 - Ben nan, je vois pas trop... Elle va mourir ? Maintenant ?
  - Je suis pas médecin."

     Ali ressentit un grand frisson le glacer des pieds à la tête au son de la voix lugubre de son père. Ils n'avaient jamais vraiment rien échangé, pourquoi à l'agonie de sa mère les choses changeraient-elles ? Une immense tristesse submergea Ali, et lorsque Youssef sortit de la pièce, il prit la main de sa mère. Il sursauta ; elle était encore chaude. Il concentra son regard uniquement sur la main, afin de ne plus voir le respirateur et les nombreux tuyaux qui transformaient sa pauvre mère en morte-vivante. Sa main était fine et petite, criblée de tâches sombres. Les ongles étaient longs et striés, son alliance ressortait sur sa peau mate. 
"Ma petite maman... " les larmes se mirent à rouler sur ses joues. Il se surprit lui-même à tant d'émotions, il n'avait pas pleuré depuis son enfance. "Me laisse pas... J'ai encore besoin de toi... t'es partie y a déjà trop longtemps... en fait, j'ai toujours eu besoin de toi... "
   Il sursauta quand la porte s'ouvrit sur son père tenant son frère par les épaules. Ali se reprit rapidement et se leva. Ils se saluèrent et chacun se replongea dans son mutisme. Au bout d'une heure, les trois hommes se levèrent et se quittèrent sur le seuil de la chambre. 

   Ali savait qu'il avait envie de la veiller, de rester un peu près d'elle, mais voulait le faire seul. Il décida de patienter dans le hall d'accueil, puis remonta dans le service, et avec l'accord d'une infirmière, qui lui confirma que sa mère était dans un coma profond, et qu'elle risquait de partir dans la nuit ou dans les 24h, il s'installa dans un fauteuil avec une couverture à côté de son lit.
   Il se sentait étrangement serein et calme. Apaisé. A sa place. Solidaire. 

    Il se mit à parler arabe à voix basse, tout doucement, se disant que s'il n'y avait même qu'une chance sur un million qu'elle l'entende, il ne risquait rien à la prendre. 
"Habibi, c'est Ali, maman. Je suis là, n'ai pas peur, je veille sur toi. On est tous les deux. Oui, la chambre est correcte. La déco... nan, t'aimerais pas, c'est sûr. Mais on s'en fout. Oui, j'ai amené ma guitare, elle était dans ma voiture. Je vais te jouer un truc, mais pas trop fort, c'est un hôpital ici, pas le bazar de Blida, je te rappelle..."
   Il sentait le sourire monter à ses lèvres, et ce sentiment de connexion fort avec sa mère s'installer. Une bouffée d'atmosphère du bled l'envahit, et il se mit à jouer un petit air de leur pays... La nuit passa tendrement, dans une excitation douce de se sentir unis tous les deux, sans mots, et de savoir qu'il avait l'honneur de l'accompagner dans son dernier voyage. A l'aube, une infirmière entra, vérifia quelques instruments et posa la main sur l'épaule d'Ali :
   - "Ben voilà, monsieur, on dirait que votre maman vient de passer...
   - Quoi ? les larmes roulèrent sur ses joues.
    - Oui, l'électro est plat. Je suis désolée. Elle n'a pas souffert, il n'y a eu aucune variation, regardez. Elle est parti doucement.
     - Oui."

   Alors voilà, sa mère était vraiment morte. Plus de fantôme qui ne sait plus ce qu'il raconte. Maintenant, plus personne à aller voir à l'hôpital le dimanche, avec l'illusion que c'est votre famille, même si elle ne vous reconnaît plus. Elle était déjà morte depuis longtemps, finalement. 

   Tout s'enchaîna avec rapidité, les obsèques à organiser, la famille à prévenir. Ali vécut tout cela comme un zombie, en mode automatique, répondant aux questions, faisant acte de présence, mais il était ailleurs. Pas de consolation, pas de partage, juste de l'incompréhension et de la peine. Ali s'en fichait, car il avait eu son moment de partage, peut-être le plus beau cadeau avec sa mère depuis des années... Une complicité simple et douce, de la présence, un souffle qui respire en même temps, une main serrée, une mélodie partagée, une réunion tant attendue, au seuil de la mort. 
Inchallah.
                                                                                                                                                         EM