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mardi 3 mars 2015

ELLES VIVAIENT D'ESPOIR de Claudie Hunzinger

     Claudie Hunzinger, dont j'avais déjà chroniqué l'excellent La Survivance (voir post précédents dans Chroniques Livres), raconte ici l'histoire vraie de sa grand-mère, Emma, dans les années 30, et de ses choix de vie libres et authentiques, parallèlement à la montée du nazisme. L'amitié amoureuse qu'elle ressent pour Thérèse ( et pour quelques autres aussi), ses amants, son mariage, ses lectures subversives, peignent le tableau d'une femme décidée à vivre sa vie pleinement. 

    Emma épouse un Alsacien membre du parti nazi, et Thérèse meurt sous la torture de la Gestapo, c'est ce que l'Histoire révèle. Mais qu'en est-il dans les faits ? Le secret de cette histoire d'amour illicite, vécue avant la naissance de ses enfants, fut préservé par Emma Hunzinger dans quatre cahiers de toile, journaux intimes précieux, qu'a recueillis sa petite-fille.


J'ai beaucoup aimé ce personnage de grande blonde aux cheveux courts (« L'une émettait la lumière, l'autre la contenait.») libre et joyeuse, forte et assumant des choix qu'on imagine périlleux pour l'époque. Cela m'a rappelé le ton de Colette dans Claudine à l'école, cette atmosphère studieuse, environnée de livres, et le sérieux de Thérèse, masquant une farouche détermination,  faisant penser à une Simone de Beauvoir, toute en retenue. "J'ai été élevé par une bibliothèque", phrase sublime de Jules Renard, vient en exergue du livre, comme pour réaffirmer le pouvoir de la littérature dans nos vies.

                                                 Elles vivaient d'espoir
      
       Le récit est vivant, étayé par les lettres, cartes postales, notes intimes griffonnées. Toutes deux sont des littéraires ( la rencontre se fait en prépa au concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure). Emma veut être en couple avec Thérèse uniquement si elle peut avoir des amants, et faire des enfants, ce à quoi sa compagne a un peu de mal à accéder :
"Seule, Emma a fait le point. Auprès de toi, écrit-elle à Thérèse, je voudrais valoir davantage, te mener loin, vieillir. Auprès de François, je me retrempe dans une joie primitive, profonde, et un équilibre animal. Loin de toi, je vis dans la dispersion. Tu me forces toi, à l'approfondissement."

                                                             Un pur plaisir à lire, fort bien écrit, dans lequel on tombe sans pouvoir lever le nez. Foncez dessus !
                                                                                                                        EM

dimanche 22 février 2015

UNE AFFAIRE CONJUGALE d'Eliette Abecassis

       Une affaire conjugale, roman écrit par Eliette Abecassis, publié en 2010 chez Albin Michel, narre l'histoire du divorce d'Agathe et Jérôme, "mal" mariés depuis huit ans, qui partagent un grand appartement à Paris, et ont des jumeaux de six ans.  Tout commence un beau jour où Agathe entend  une conversation entre son mari et des amis, alors que son portable s'est malencontreusement ( ou heureusement ) allumé et a numéroté son numéro à elle. Elle y entend qu'il la trouve folle, qu'il est mal avec elle, et la méprise. Elle décide alors de fouiller son bureau, et à sa grande surprise, découvre qu'il a une double vie depuis longtemps, qu'il fume des joints plus de que raison, et consomme du porno à outrance, entre autre. 
    Elle lance une procédure de divorce, que lui refuse à tout prix. Pas de conciliation possible.Mais juste la survie.
     Le point de vue est celui d'Agathe, on vit les choses à mesure qu'elle les découvre, on vit avec elle cette traversée infernale qu'elle entreprend pour sortir de l'ombre, du flou, de ce statut de femme mal aimée et mal considérée, qui ne sait trop comment se défendre. 
     Rien ne lui sera épargné, et quand la bataille touche la garde des enfants, ça se corse, et elle prend les armes. 

     J'ai adoré ce livre pour son côté engagé et réaliste, pour la relecture qu'elle fait de son couple ("ainsi vont les choses. On fait un enfant par amour. Peu après, on se rend compte que le couple est mort. On est piégé dans un cercle infernal"), et pour la leçon de vie que cela représente. Je me suis demandée si c'était autobiographique tant cela sentait le vécu. Et oui, elle s'est inspirée totalement de son propre divorce. C'est un témoignage, écrit avec une grande sincérité, et sans honte ( car sa dignité prend de sacrés coups).
                     
                                             une-affaire-conjugale
       Le manque de vraie communication entre eux choque, et ce, dès le début de leur histoire. Leur couple se construit sur d'énormes malentendus, dus aux non-dits, que tous deux semblaient trouver normaux. Ce qui m'a plu, c'est la lucidité que l'aventure lui fait gagner. Elle VOIT le monde avec des yeux neufs, comme "déniaisés", et ses relations familiales et amicales, même si elles s'éclaircissent, y gagnent beaucoup en sincérité. Sur qui compte-t-on quand on décide de faire un choix très impactant sur sa vie personnelle et familiale ? Il faut dire que Jérôme cherche à la manipuler, et l'on comprend que cela fait partie de son mode de fonctionnement. Il demande des lettres de témoignage à son entourage, et a le culot d'aller voir la soeur de sa femme  ( finalement il a du nez, car elle se laisse manipuler facilement et prend parti contre sa propre soeur, la pensant folle, tout en disant l'aimer de maière inconditionnelle. Il sait donner le change, en étant affable, heureusement beaucoup de proches ou moins proches d'Agathe ( souvent ceux auxquels elle s'attend le moins), témoigne de l'attitude réelle du mari dans l'intimité du foyer ( les nounous, par exemple). Lui, se met soudainement à s'intéresser à ses fils, ne s'en étant jamais occupé auparavant et à faire la guerre pour en avoir la garde.  Il ne supporte pas d'avoir été démasqué, en quelque sorte, par sa femme, qui a toujours tout financé avec ses revenus de parolière de chanson. Il cherche à la prendre en faute sur le moindre de ses gestes. 
      La question qui revient souvent dans la tête d'Agathe est "pourquoi ma soeur/mon amie ne veut-elle pas prendre parti pour moi ? De quoi a-t-elle peur ? Pourquoi cherche-t-elle à préserver plus la relation avec son ex-mari qu'avec elle-même ?" etc.... Effectivement, ce livre questionne sur le positionnement que chacun prend dans la vie, surtout devant les épreuves ("l'amitié se révèle dans la nécessité plus que dans l'allégresse" dit-elle dans sa dédicace ). "Il est des moments où il faut savoir choisir son camp. Dans les guerres, notamment. Il est des moments où la neutralité est malveillante. Ma soeur avait choisi le sien : ce n'était pas le mien."

    Heureusement, on a envie de boire une coupe avec elle quand le cauchemar s'éloigne, qu'il quitte l'appartement. De respirer un grand coup avec elle, quand le loup s'éloigne ( car il se trouve une autre proie, hélas). Dans la vie, savoir défendre sa dignité est capital, et passer de temps à autre les apparences, parfois trompeuses, à la machine, ça fait pas de mal !

                                                                                                    Conjugalement votre, 
                                                                                                                                   EM

samedi 10 janvier 2015

La grâce des brigands de Véronique Ovaldé

    C'est l'histoire d'une jeune femme : Maria Cristina Väätonen,  qui à seize ans, quitte Lapérouse, sa ville natale, une mère étouffante autant que peu aimante, un père taciturne, et une soeur jalouse, pour s’installer à Santa Monica (Los Angeles). C’est le début des années 70, de la Californie et de sa littérature libertaire. Dans son errance, elle va s'installer en colocation  avec une jeune serveuse enceinte avec laquelle elle va bientôt former une petite cellule rassurante à trois, et tomber amoureuse ( ou, plutôt, en dépendance admirative et malsaine) de Claramunt, un auteur US à succès.
    J'ai adoré l'ambiance dans lequel ce roman brillant m'emportait, et signe d'un excellent livre, qui me suit encore, une semaine après l'avoir terminé. L'héroïne et sa quête d'ancrage et d'équilibre, que vraisemblablement, elle n'a pu trouver dans sa famille, elle va la chercher ailleurs. D'abord géographiquement, au soleil, loin de la froide humidité de sa ville canadienne, puis en ses pairs, afin de se recréer un noyau familial, et enfin en elle, en accouchant de romans puissants, dévoilant la vérité sur ce qu'elle a vécu. 

    Voici un petit extrait, juste pour vous donner l'esprit du livre, car vraiment, Ovaldé est une grande auteur, avec un style ciselé et profond. Elle va loin dans l'âme humaine, et fait des constats d'une rare acuité sur les relations humaines et familiale, sur la solitude humaine et la sur la bienveillance et la confiance entre les êtres.

                                     La Grâce des brigands


Les calmes après-midi du bord de mer
Maria Cristina Väätonen, la vilaine soeur, adorait habiter à Santa Monica.
La première raison de cette inclination, celle qu'elle n'avouerait sans doute pas ou alors seulement sous forme de boutade, en riant très fort et très brièvement, c'est qu'elle avait la possibilité à tout moment de déguster des cocktails de crevettes et des glaces à la pastèque sur le front de mer.
Elle pouvait s'asseoir dans un restaurant pour touristes aisés où le serveur l'interpellait par son prénom et ajoutait toujours des cacahuètes pilées à ses crevettes -il ne disait pas cacahuètes, il disait, Je vous ai mis des arachides, Maria Cristina, et il roulait les r suavement, peut-être pour faire croire qu'il n'était pas du coin. Et elle pouvait s'installer sur la terrasse du restaurant à une table qu'aucun client de passage n'aurait eu le droit d'occuper. La terrasse surplombait la baie du haut de ses pilotis, et on y sirotait des sangrias avec lenteur en contemplant le soleil qui disparaissait au fond du Pacifique dans une apothéose fuchsia. Puis Maria Cristina pouvait décider de prendre sa décapotable verte et rouler le plus vite possible sur l'autoroute, remonter la nuit Mulholland Drive au volant de sa voiture et sentir le vent frais qui vient des jardins des multimillionnaires, les jardins qu'on arrose à minuit pour que les orchidées et les roses au nom latin se sentent à leur aise, elle pouvait goûter sur son visage l'humidité des bambouseraies qu'on fait pousser en plein désert, et ensuite rentrer chez elle à l'heure qui lui plaisait, garer sa voiture en mordant sur le trottoir près du petit chemin qui descend vers la plage, claquer la porte de son appartement, jeter les clés par terre, se défaire de ses vêtements en les laissant simplement tomber sur le sol, mettre très fort la musique et allumer toutes les lumières comme si elle avait une minicentrale électrique pour son usage personnel dans le sous-sol.
Elle pouvait faire tout cela mais ne le faisait quasiment jamais.
La possibilité seule l'enchantait et lui suffisait.
Maria Cristina Väätonen aurait probablement aimé être une femme scandaleuse.
Malgré ce désir, elle ne faisait que goûter plaisamment sa vie d'écrivain et la modeste notoriété que son succès accompagnait. C'était l'autre raison pour laquelle elle appréciait d'habiter à Santa Monica: une communauté d'écrivains dépressifs et/ou cacochymes y vivait, arpentant les pontons comme de vieux squales à la recherche d'éperlans. Ils avaient tous tenté de devenir scénaristes ou présentateurs d'émissions culturelles, ils avaient réussi ou échoué, là n'était pas la question, et ils fumaient des cigarillos en regardant la mer et en imaginant s'exiler à Tanger, Paris ou Kyoto. L'un de ces vieux écrivains était l'homme le plus important de la vie de Maria Cristina.
Maria Cristina avait trente ans (ou trente et un ou trente-deux) et se trouvait encore dans l'insouciant plaisir d'écrire, acceptant la chose avec une forme d'humilité et le scepticisme prudent qu'on accorde aux choses magiques qui vous favorisent mystérieusement.


                                                                                                                                                    EM






lundi 8 décembre 2014

ROMAN : CAFE VIENNOIS de MICHELE HALBERSTADT




         Clara, journaliste, assez solitaire, la quarantaine, va passer une semaine à Vienne, avec sa mère, laissant de côté sa vie familiale, ses soucis de femme adulte, pour redevenir l'enfant, et reconnecter avec son histoire personnelle. Elles vont toutes deux visiter la ville, ses monuments, et passer des moments agréables, juste toutes les deux, dans les fameux cafés viennois, à l'atmosphère si cossue, protectrice, et paisible... à la redécouverte du passé : celui de Frieda, la mère, qui a vécu la menace de la déportation, et a fui a travers l'Europe avec toute sa famille. Elle est autrichienne, et revenir dans le pays de son enfance est pour elle de l'ordre du sacré, et des retrouvailles. Sa fille,elle, en retournant sur les traces de ses ancêtres, va se faire beaucoup de bien dans sa vie présente, se libérant, en quelque sorte.  

Atmosphère feutrée, propice aux confidences, aux retrouvailles
                                         
       J'ai aimé ce roman car il m'a emporté à Vienne, j'étais dans les cafés avec elles. J'ai aimé par dessus tout l'immense pudeur du récit, qui ne laisse qu'entrevoir les drames que chacune ont eu à vivre dans leur vie, mais qui met l'accent surtout sur l'amour régnant entre ces personnages, et le choix qu'a fait la mère de vivre pleinement et joyeusement son existence, comme un hommage ultime à ceux qu'elle a vu déporter. 
                                               
Sans oublier le plaisir !
                                                         
       Au-delà de ça, j'ai été sensibilisée par le récit autobiographique au jour le jour de Frieda adolescente, déménageant avec ses parents au rythme de la menace nazie, qui m'a rappelé le ton intimiste et amical du journal d'Anne Frank. Ces petits détails anodins, comme ce qu'elle mange, comment elle s'habille, comment tout à coup, alors qu'elle était populaire dans son lycée, ses camarades la dénigrent... Tous ces petits riens insidieux, qui font qu'un beau jour, on est rejeté de manière officielle par son propre pays, l'Autriche. Cela paraît si surprenant, qu'on se dit : c'est le passé, cela ne pourrait plus jamais arriver ! Et pourtant, l'Histoire, qu'est-ce que c'est, sinon une immense répétition, dont l'étude nous permet de prendre des leçons du passé ?
A la fin de cette lecture, j'ai senti que ce qui compte, plus que jamais, c'est de rester intègre à nos propres valeurs, d'amour, de partage, de respect des différences, de soutien, d'accueil, d'écoute... le tout, saupoudré de rire, de plaisir et de joie.  C'est en temps de paix que l'on ancre profondément les racines de ce que l'on croit juste. En temps de crise, de guerre, on récolte les valeurs de ce que l'on a semé, et l'on trouve appui sur tous ceux qui partagent nos valeurs. Pas beau, ça ?!

                                                                                                 Bonne lecture, parfait pour les fêtes. EM


Allez, vous en reprendrez bien un !












mardi 8 juillet 2014

La Survivance de Claudie Hunzinger

    Très beau roman paru en 2012 chez Grasset, de Claudie Hunzinger, artiste et écrivaine depuis 1973 (depuis qu'elle a eu la riche idée de quitter l'Education Nationale ).

                                                           

      Un couple d'ex-libraires d'une soixantaine d'années, Sils et Jenny, est contraint de trouver refuge dans une ferme à moitié en ruine, perdue dans la montagne alsacienne, qu'ils avaient acquis pour une bouchée de pain lors de leurs études. Ils rendent les clés de leur librairie, véritable raison de vivre de ces deux amoureux de la littérature. Le roman décrit avec poésie leur quotidien et leurs amitiés animales, ainsi que leur relation à deux, isolés qu'ils sont et réduits à vivre en autarcie, par manque d'argent et par rejet de la société de consommation et son productivisme.
Constat d'échec ? Pas totalement... Ils se reconnectent à la nature et à l'essence même de la vie, et permettent à leur essence profonde d'émerger ( et surtout au lecteur de suivre leur expérience si enrichissante sur la connaissance de la nature humaine). Au fil des difficultés et des inconforts (l'hiver en altitude dure 7 mois, et qu'il stagne à - 25° en février, sans eau courante ni électricité), on se demande pourquoi ils s'imposent autant d'ascétisme et de dureté.
Le quotidien âpre et dépouillé de ces deux êtres en montre aussi la perdition, et en même temps force le respect. Quel couple digne de ce nom pourrait vivre un an en autarcie, avec pour seule compagnie une ânesse et une chienne dans une masure fissurée avec des bottes de paille en guise de lit ? Ils continuent à échanger, à garder un rythme d'êtres civilisés ( prendre le petit déjeuner, s'inviter courtoisement dans le lit de l'autre, se raconter leurs rêves).
On comprend soudain que se cache là-dessous un complexe de non-appartenance au monde, comme le prouve le malaise de Sils lors du réapprovisionnement mensuel au supermarché. En fait, son monde, c'est Jenny. Ils sont chacun le monde de l'autre, se connaissant depuis le lycée, fans du roman Sans famille, ironisant qu'ils se sentent eux-mêmes sans famille et bien qu'ils aient une famille physique dans la vallée, elle ne semble aucunement présente pour eux dans leur déroute, elle n'apparaît d'ailleurs pas. Ils ne demandent d'aide à personne. Sils s'auto convainc que cette vie est son choix, prenant la posture du rebelle, lui permettant de ne pas perdre la face totalement dans ce lent suicide que représente cette équipée sauvage ( qui n'est pas sans rappeler ce choix du héros narrateur de Into the Wild qui décide de se retirer, car il ne se sent plus vraiment à sa place dans le monde, et dont les racines du "déracinement" justement sont aussi dans le manque d'amour ou de reconnaissance familial). Le sentiment de profonde tristesse de Sils est un indicateur constant de cette erreur de chemin. Stérile et sans avenir. Jenny est la seule à ne pas perdre tout à fait les repères d'une vie féconde, en restant connectée aux autres, aux animaux, en cuisinant, et en relativisant ses angoisses nocturnes pour retourner à la "tranquillité du monde", et de" ses vêtements en petits tas dans sa chambre".
Peu à peu,  on sombre dans un renoncement aux joies de la vie terrestre incarnée. Loin d'être une retraite paisible et désirée, ils se terrent, pour ne plus gêner, évincés de la société du travail qui leur a signifié qu'ils ne sont plus utile, se sentant de moins en moins légitimes ou intégré à la société humaine. La question de la transmission est évoqué par eux deux à plusieurs reprises, par les mots d"héritage". A qui léguer leurs livres ? et les pigments de couleur que Sils s'évertue à trouver dans les pierres ?
Sils se sent mourir. Qu'est une vie coupée des autres ? Coupée de l'échange ? De l'amour ?  Il sacrifie sa vie et son talent, il ne les vit pas vraiment, cela reste en marge, en survie. 
Pourquoi ce renoncement, si ce n'est ce sentiment de non appartenance initial et familial qui semble les rattraper ?  Les voilà engagés sur un chemin de mort, loin du monde vivant, de la grande famille que sont les autres. 
Une hibernation dans une tombe à ciel ouvert que cette survivance dans cette maison, qui elle aussi s'avérera illégitime, n'ayant même pas sa place sur le cadastre. 
J'ai beaucoup aimé la profondeur de la pensée, la justesse de l'expérience décrite, la beauté de la nature et la tendre description des animaux,  et les questions essentielles que cet ouvrage permet sur ce qu'est une vie humaine réussie.
A lire dans la montagne !

                                                                                                                                           EM

jeudi 10 janvier 2013

Le Pèlerin de Compostelle de Paulo COELHO

L'auteur entreprend le pèlerinage et en produira un récit qui dépasse le témoignage pour se transformer en parcours initiatique de la vie en générale.
Je suis en train de le lire, ici, à Ubud (Bali), et ce livre m'accompagne comme un ami ou un père, je le retrouve chaque soir avec un bonheur intense, car je sais qu'il me réconforte, me pousse sur MA voie, m'éclaire le chemin, me permet de partager mes doutes. Car Paulo Coelho a cette humilité d'être entier, vulnérable, humain, simple. Il est un homme très simple, qui parle à la femme très simple que je suis.
Il parle de l'accomplissement tel que chaque être prend la décision d'entreprendre. Il parle de choix, de possibilités, d'amour absolu, de confiance.
C'est un merveilleux livre, profond et puissant, qui me permet d'aller encore plus loin sur ma propre voie. J'ai l'impression, moi-aussi, de faire un chemin initiatique à Bali,et de rencontrer la magie de Dieu à chaque instant.
Alors Paulo, si tu m'écoutes : thank's my friend !

EM

vendredi 28 décembre 2012

DJEBEL AMOUR

Le roman Djebel Amour de Frison Roche, relate l'histoire vraie d'Aurélie Picard, jeune provinciale qui va voir son destin bouleversé en 1870, par la rencontre de Si Ahmed Tidjani, un prince magrébhin puissant, qui va tomber amoureux d'elle.
J'ai été littéralement transportée en Algérie avec elle, sentant en moi les bienfaits de la détermination de l'héroïne, une femme forte, qui sait ce qu'elle veut, et sait tracer son chemin sans se retourner. Son énergie est incroyable, car elle va fonder un palais, Kourdane, dans le désert du Sahara. Palais qui existe encore...
Ma mère est pied noire, ayant vécu à Affreville. Cela raisonne donc en moi avec une sensibilité particulière. Aurélie traverse toutes les villes que ma mère a évoqué devant moi petite : Affreville, Blida, Alger etc... Elle apprend l'Arabe, et s'intègre à son nouveau pays, elle qui vient directement de la région Bordelaise, d'un milieu modeste,aînée, responsable qui prend en charge la maisonnée entière, n'hésite pas une seconde quand l'opportunité de partir loin à l'aventure se présente. Elle tombe amoureuse de Si Ahmed, mais aussi et surtout des promesses de réalisation qu'il lui apporte. Rien ne lui sera épargné, elle doit lutter pour être la seule femme de son époux, apprend la langue arabe, s'habille et mange à la mode du pays, et jour après jour, se bat pour préserver sa confiance en elle, loin de tout ce qu'elle connait. Elle sera même empoisonnée alors qu'elle est enceinte, et perdra son bébé, et ne pourra plus en avoir. Mais loin d'elle toute idée de stérilité : elle fait prospérer la dynastie des Tidjani, mieux qu'aucun prince ne l'a fait précèdement. Elle a une main de fer,dans un physique de longue blonde féminine. Elle semble perdre toute culpabilité et avancer comme elle l'entend, acceptant l'autorité que demande son rôle et l'attitude intraitable qu'elle doit en conséquent adopter. D'autant que son époux se montre passif et peu dynamique, plus enclin à se bâfrer (il finira obèse, avec un diabète très avancé), mais ayant une véritable dévotion pour son épouse chérie.




La lucidité d'Aurélie m'a frappée. Elle ne se fait aucune illusion sur son mariage et leur passion, passagère, sachant qu'il ne tient qu'à elle de le transformer en amour et en respect, ce qu'elle fait, sans jamais se compromettre outre mesure.  
J'ai adoré le dépaysement que m'a procuré ce roman historique très documenté. Et c'est décidé, je vais aller voir ce qu'il reste de Kourdane ! Je sens qu'elle est de ma famille cette femme-là, peut être une ancêtre... 

E.Jullin


jeudi 13 décembre 2012

LES VAISSEAUX DU COEUR B.GROUT


Les vaisseaux du cœur de Benoîte Grout

C'est âgée de 75 ans que cette femme de Lettres, féministe de renom, nommée Benoîte Grout,rédige ce magnifique roman autobiographique, inspiré de son histoire d'amour adultère avec un marin breton, s'étendant sur une quarantaine d'années.
Tout sépare Gorge (le nom de son personnage féminin), et son amant, fièrement rebaptisé Gauvain, pourtant, le corps a son langage et sa vérité, que nul ne peut défaire, pour peu d'oser sauter le pas, celui des conventions, pour trouver sa part de liberté. Elle, parisienne intellectuelle, lui travailleur de la mer, qui se fait chevalier courtois, malgré sa rudesse et sa rusticité. Ils se connaissent depuis leur enfance, et depuis leur premier baiser volé lors d'un bal, leurs rencontres se sont faites passionnées, essentielles à leur vie ; parfois espacées de plusieurs années, toujours au gré de leurs voyages (Seychelles, Canada...), l'universitaire retrouvant le marin au long cours, une semaine grapillée deux fois l'an.
L'auteur, se fait proche de nous, par la qualité et la sincérité de son récit. Elle dévoile chaque facette des étapes d'un amour solide, ancré, fait de chair, sans fards. Elle perce au cœur, parlant crûment de sexe,avec toute la beauté que comporte la nature dénuée d'artifice. La limpidité du ton bouleverse, car elle n'est pas dans l'enjolivement, apanage habituel des histoires d'amour passionnelles. La simplicité des corps, du sexe féminin notamment, touche à l'essence même de la complétude entre homme et femme, de leur similitude sans barrière.
Le dernier chapitre a fait jaillir mes larmes plus qu'aucun autre livre, me libérant d'un chagrin sans doute ancien, me laissant une impression de gratitude intense. Et cette leçon de vie entre toutes :
VIS MAINTENANT, OSE AIMER, LE VIVRE, L'EXPRIMER, SANS CRAINTE DU RIDICULE NI DE L'ECHEC, PUISQU'IL N'EXISTE PAS EN AMOUR !
EM

vendredi 15 juin 2012

Sylvia de Léonard Michaels et autres réflexions sur la littérature


L’écrivain est celui qui a profondément envie de se faire comprendre. Celui qui veut être entendu - c’est un peu différent - deviendra homme politique, faisant des discours et se mettant en scène sur des affiches immenses, leader au regard assuré, juste avec son prénom parfois, comme un intime de la famille, le patriarche.
L’écrivain, lui, est pétri de plus de doutes, et s’il se rend public, il le fait en général avec une certaine retenue. Donner de la voix (orale, s’entend), n’est pas pour lui. Tout ce qu’il veut transmettre passe par les mots. Contrairement à la figure politique, il n’a aucune certitude, si ce n’est qu’écrire est sa raison de vivre. Il ne pourrait faire autrement, ça le sauve de la folie et du malheur. Il prend son temps, chaque jour, pour coucher sur le papier ses pensées les plus profondes, ses imaginations les plus folles, ses propos les plus osés, avec toutes les nuances dont il dispose. Il a toute confiance en la feuille, parfois moins en sa main et encore moins en son esprit. Mais quand il laisse l’inspiration divine le guider, il écrit avec frénésie, et une intense joie de vivre le prend : j’accomplie ma destinée, se dit-il. Il perd souvent sa foi au moment de faire lire son « travail », comme il est convenu de nommer son activité (comme si respirer était un travail !) – assimiler cette activité vitale et viscérale à un emploi le rend sérieux et crédible aux yeux de la société. Toujours, il se demandera comment sera reçu sa nouvelle œuvre. Parfois, c’est étrange, alors qu’il s’enthousiasme pour sa dernière nouvelle, personne ne semble l’aimer, tandis que ce roman inachevé qu’il juge ni fait ni à faire, trouve son public ! Il en vient à douter de lui et de son jugement.
Mais au fond de lui, s’il écrit autant et qu’il propose quelque chose de terminé, qu’il a relu, qu’il veut parfait au niveau de la forme, ce n’est pas que pour lui, c’est pour ses lecteurs potentiels. Pour le message qu’il leur passe, l’histoire qu’il leur raconte. Il montre sa vision du monde, il parle de lui… A l’infini… Il se réinvente à travers la fiction, croit-il au début, pour comprendre qu’il ne parlera jamais que de lui-même, c’est-à-dire de ce qu’il sent, de ce qu’il a vu, entendu, envié, désiré, vécu, détesté… de ce qui le touche, l’amuse, l’horrifie, le contente… encore à l’infini…




Toutes les formes sont à sa disposition. Le roman : quand il veut prendre son temps, pour installer les choses qu’il a à dire, le travail de longue haleine ne le rebute pas, il sait qu’il a la matière pour le nourrir, la patience et la discipline. La satisfaction de terminer un roman vaut la peine. La nouvelle : quand il est dans l’intensité d’une histoire, sans vouloir rester piégé des mois dans la même trame ; plus de rapidité, une chute plus brutale. La pièce de théâtre : l’amour du dialogue, du discours direct, des mots sans enrobage qui sortent spontanément des personnages, sans récit narratif. Le dramaturge joue à la poupée avec eux, l’un est sa voix souvent, mais tous lui parlent et sont au service d’une intrigue qu’il a décidé de jouer devant ses lecteurs et spectateurs. Il imagine quelle voix va prononcer ces paroles, sur quel ton, la scène est précise devant ses yeux. Il est étonné de découvrir ce qu’un metteur en scène aura fait de son histoire, lui donnant parfois un angle de vue parfaitement inopiné. Qu’on se réapproprie ses mots ne le laisse jamais indifférent : cela le fâche, l’amuse ou le bouleverse. Le poème : sa forme courte (plus courte que le roman), permet une concentration de signifiants, de signifié, de sensations ; les règles de versification qu’il se donne apporte un cadre à ses écrits, contrainte libératrice. Trop de liberté nuit, et face à son vers libre, il se sent perdu parfois. La prose laisse libre cours au déchaînement de son imagination, il suit les méandres de sa pensée, son écriture courant le long des lignes, comme un ruisseau qui serpente et sort de son lit.
Je viens de terminer à l’instant Sylvia, le roman autobiographique de Leonard Michaels (1992, Christian Bourgeois éditeur), dans lequel il laisse entendre sa désespérance lors de sa relation amoureuse destructrice avec le personnage éponyme, une femme irascible et déséquilibrée, qu’il a épousé jeune, dont il s’était cru le sauveur. Il était si enfermé dans cette histoire, qu’il éprouvait un besoin viscéral de communiquer librement ce qu’il pensait. Il ne pouvait le faire ni avec elle, ni avec ses amis et famille, en proie qu’il était à une immense culpabilité, ôtant toute forme de responsabilité à son épouse. Le processus d’écriture est difficile pour lui à cette époque, il décrit combien il peine, seul devant sa feuille blanche, pensant que cela devait couler, comme tant d’autres auteurs de renom le disent, mais lui, rien : « Je devais laisser le champ libre, attendre le déclic, mais je n’y parvenais pas. […] J’étais incapable de me laisser emporter par la danse ». Il alterne les passages tirés de son journal intime, frêle esquif le sauvant du naufrage total, et ceux du récit de leur quotidien de jeune couple marié à New York dans les 60’s. La construction même du roman est passionnante, car mimétique de cette volonté de retranscrire la vérité, entachée de tant de culpabilité de la part du narrateur, témoin du suicide final de la pauvre Sylvia. Elle lui répète d’ailleurs toujours que c’est inutile qu’il aille voir un psy, car il va lui donner « sa » propre vision de leur histoire, alors qu’il devrait dire la réalité.
N’est-ce point la parfaite image du travail de l’écrivain, justement, que de donner sa vision intime de la vie ? Les parties tirées de son journal viennent comme preuves irréfutables de ce qui a été. Nul doute possible, et les descriptions sont précises, sans aucune distorsion due à l’émotion. Il sait être chirurgical à sa manière, en narrant leurs disputes, avec peu ou pas de pathos. Une manière qu’à cet écrivain de crier au monde : « Mais regardez, c’est elle la folle ! Je suis la victime, je suis perdu, à l’aide ! ». Son journal a été sa soupape de sécurité pendant ces années dramatiques, elles-mêmes terreau fertile pour l’écriture, malgré ce qu’il dit de ses difficultés de se laisser emporter par son inspiration. Il a réutilisé ce matériau trente ans plus tard, avec le recul et la force nécessaire à son entreprise. Et c’est sublime, merci Michaels.
Ecrire demande de se ménager du temps pour laisser émerger la voix, car le tourbillon de la vie l’étouffe vite sous les contraintes et divertissements. Trop de joie disperse, trop de soucis aussi. Se ménager un emploi du temps dédié à l’écriture n’est pas évident. Il s’agit d’un choix. Décider un jour que c’est cela que l’on veut faire. Et le caissier devient écrivain, la banquière auteur. Aussi simple que cela, en fait. Quand l’écrivain devient-il écrivain ? Lorsqu’il est publié ? Et toutes les années passées à écrire avec délectation ou angoisse avant le succès ? N’était-il pas écrivain encore plus, mû non pas par une commande de son éditeur ou une attente du public du tome 2, mais par sa rage passionnée de coucher des mots sur le papier ? Quand il est best-seller, n’est-ce pas difficile de se renouveler, de se réinventer, encore et encore ? Vieillissant, a-t-il plus confiance en lui, ou pense-t-il avoir perdu la verve de sa jeunesse ? Son innocence, son goût du risque, de l’époque où personne ne le connaissait, où il se permettait d’aller jusqu’au bout : « Personne ne connaît ma tête et je trouverai un pseudonyme », les possèdent-ils avec autant de spontanéité ? Il se sait attendu, son style est maintenant connu et analysé, ses lecteurs l’adulent et le catégorisent, ses critiques encore plus. Ecrit-il autant pour lui qu’avant ou pense-t-il davantage à l’accueil qu’aura son ouvrage ? « Non, décemment, je ne peux pas dire ça, ça les choquerait, je les ai habitués à autre chose. »
L’auteur peut aussi passer par l’autre chemin, celui qui le mène du besoin de reconnaissance, avec un style léché et revu et corrigé maintes fois, à traiter des sujets qu’il juge sérieux, ou au contraire à verser dans le populaire, parce que ça marche, ou encore se mystifier en cynique ou encore intellectuel de référence, pour des années après, surprendre le public et les critiques par un écrit d’une pure innocence et d’une humble honnêteté. Ainsi Sartre a beaucoup touché avec la simplicité sans fard des Mots, F.Beigbeder a conquis en dévoilant une autre facette de lui, beaucoup moins fanfaronne et ironique dans Un roman français où il ose enfin dévoiler sa vulnérabilité, donner un peu de sa personne. Beaucoup d’écrivains ont des phases, en s’approchant ou s’éloignant de l’autobiographie, comme si c’était un genre totalement à part, n’ayant rien à voir avec ce qu’ils écrivent habituellement. On le classifie comme genre, pourtant, comme sous-genre même.
Petit message personnel post-mortem  à Léonard Michaels : tu m’as fait du bien à ta manière. Les relations passionnelles destructrices, où l’on ne sait plus ce qu’aimer veut dire, où l’on se sent pris au piège, incapable de bouger sous peine de voir l’autre se défenestrer, et bien ça existe, et quel bonheur de pouvoir en parler. Ecrire paradoxalement permet de dédramatiser, en mettant de la distance entre le vécu et sa compréhension, parfois des années après. Comprendre que l’on est responsable que de soi-même, pas des réactions que l’on génère chez l’autre. Ecrire un drame, c’est mettre en scène ce que l’on a été ou pensé ou vu ou senti, dans un monde virtuel, car créé par l’auteur. Un monde qu’il contrôle mieux que la vraie vie, et dans lequel se passe tout ce qu’il décide. La littérature, vie ou reflet de la vie ?
                                                                                                                         Emilie Jullin

mardi 1 mai 2012

Les Chaussures italiennes Henning Mankell


Les chaussures italiennes d’Henning Mankell, 2006, 2009 pour la traduction française au Seuil.



      Oui : c’est du Mankell, non : ce n’est pas un polar.

     Un homme habite seul avec sa chienne et sa chatte sur une petite île de Suède, ayant pour seule visite celle du facteur en hydroglisseur, deux fois par semaine. Un beau jour, une femme arrive dans la neige ; il la reconnaît : son amour de jeunesse. Elle va lui révéler plusieurs choses, et un road trip va s’ensuivre.

    L’immobilisme et le mouvement font partie de la même respiration. La solitude et le partage familial. Le froid glacial hivernal et la douceur d’une caravane chauffée. LA mort et la joie de vivre. Ce balancement ténu imprègne chaque page de ce saisissant roman sombre, qui nous captive par sa beauté. On est avec Fredrik (le héros, la 60aine, ancien médecin). On vit avec lui sur son île ; on sent même le froid pénétrer nos membres. Puis on rentre dans la peau d’Harriet, et dans celle de Louise. On comprend de manière intuitive chacun des personnages. Leur quête à chacun, différente. Et pourtant si proche : toucher l’autre, lui parler, partager, aimé, être aimé. Tout ne se résume qu’à cela : un battement de cœur, qui s’ouvre après avoir été fermé si longtemps.

     Le thème de la filiation domine, ce n’est pas pour rien que Mankell est célèbre aussi pour ses livres pour enfants (hormis le succès planétaire de ses polars noirs) : sa sensibilité nous donne envie de nous pelotonner sur une banquette devant le feu de cheminé, tout serré contre lui, contre Fredrik.

     J’ai adoré.  Et pour comprendre le titre ? un indice : Fredrik se voit offrir en cadeau des chaussures faites sur mesures par un grand maître, par quelqu’un qui tient a lui. Afin qu’il se sente plus confortable, et les pieds sur terre ? à vous de voir.                                                                                                                    EM