mardi 25 juin 2013

L'HISTOIRE D'ALI (part 3.)

         J’ai décidé d’aller voir Mme Ramoux, après le travail, ce soir. Elle a dit qu’elle serait ravie de me voir. Ça me laisse toujours sceptique, les gens qui me disent ça. J’ai l’impression que je vais les énerver, en faisant je ne sais quoi, ou que je les dérange. Alors je ne reste jamais bien longtemps chez les autres. Quand j’habitais avec Brahim en colocation, j’essayais de passer le plus de temps possible à l’extérieur, afin de ne pas le gêner. C’était chez moi, mais je n’y pensais même pas. Sa copine Fanny dormait là une nuit sur deux. Je ne leur ai jamais dit que ça me gonflait grave, de les voir sur le canapé ou au dans la cuisine tous les deux. Je n’osais pas marquer mon territoire, en fait.  J’admirais comme ils se sentaient à l’aise, dans l’appart’. Chez eux, quoi ! Alice, la fille avec qui je sortais à cette époque, une belle liane rousse, ne venait pas souvent chez moi. Je n’osais pas l’inviter, je pensais qu’on dérangeait. Elle était réservée, cette fille, pas trop confiance en elle. C’était trompeur car elle était magnifique. Moi, j’ai remarqué que fréquemment, les super belles filles peuvent manquer d’une confiance en elles incroyable, qui les rend accessibles et adorables. Tandis que certaines, super moches, mais dotées d’une bonne répartie, peuvent vous faire la vie dure. Elisa, en 3ème, entre autre. La chieuse absolue. Toujours en train de causer d’elle, de ses fringues, de ses parents, cousines, frères… Elle avait toujours un truc à dire, et puis quand je lui demandais un conseil, elle me répondait qu’elle ne savait pas en haussant les épaules, avant de repartir direct sur ses histoires. Elle m’impressionnait beaucoup, même si je ne la trouvais pas terrible physiquement. A la fin, même ses rondeurs, je les trouvais belles. Elle avait une telle confiance en la vie, tellement sûre que ses parents l’attendaient à la sortie du collège. Elle leur tenait tête, ils se fâchaient tous un grand coup, et l’instant d’après, c’était comme s’il n’y avait jamais rien eu. Elle leur faisait la gueule quand elle n’obtenait pas ce qu’elle voulait, et ils lui répétaient qu’avec son intelligence, elle pourrait faire le métier qu’elle voulait. Ça tombait bien, elle voulait être coiffeuse. Héhé, basse vengeance…



                J’ai noté un truc étonnant, depuis que je suis rentré du bled : je me suis remis à la guitare, comme si je n’avais jamais arrêté, et j’ai composé cinq mélodies. Si le Fred savait que j’ai arrêté depuis quatre ans, il m’engueulerait. Lui qui me poussait à entrer au Conservatoire National. « Faut pas pousser, je lui disais. C’est pas comme ça que je vais gagner ma vie ! ». Au bled, c’est revenu naturellement, sans forcer. Et puis, là-bas, j’ai un public acquis. J’ai même joué à la fête du village, sur le podium. Bref, depuis un mois que je suis en France, il m’est arrivé trois coïncidences. Les trois fois où j’ai essayé d’enregistrer mes chansons sur mon MP3 pour l’envoyer à Fred, un compositeur plutôt renommé, il écrit pour Johnny ! et bien, le Youssef a appelé sur mon portable. La 1ère fois, parce que maman se sentait pas bien du tout, et qu’il voulait que j’y aille de suite. La 2ème, car il retrouvait pas la carte grise de la voiture (ça fait des années que j’ai pas conduit sa voiture, je me demande pourquoi il pensait que c’était moi), et la 3ème fois, j’étais en répèt’ avec mon voisin, et là, il m’a pris la tête pour je ne sais quelle connerie, que j’avais faite. Ah oui, je me rappelle : « -Ali, comment comptes-tu gagner ta vie, si tu t’arrêtes deux mois pour partir en vacances ? ». Sur le coup, je lui ai répondu que j’avais fait des économies, et puis d’un coup, ça m’a énervé. Il ne s’est jamais occupé de mon cul, depuis que j’ai quitté la « maison », « ma maison, je te rappelle », comme il dit, et tout à coup, il s’inquiète de mes revenus ? J’avais envie de lui dire que je suis adulte, et que jusqu’à lors, j’ai plutôt bien géré mon autonomie financière, et ne lui ai jamais rien demandé. Je sais que c’est juste un hasard, mais maintenant, quand j’essaie d’envoyer mon enregistrement, je me prépare à son appel ! Je me demande quel rapport il peut y avoir. La Fatima, au Bled, elle me lirait le marc de café et m’expliquerait ça à sa manière…




En même temps, le truc, c’est que je manque de confiance en mon talent. J’ai l’impression
que ce n’est pas pour moi, d’y arriver. C’est pour les autres. Alors quand j’ai une poussée de confiance subite, j’en profite. C’est comme ça que j’ai eu mon travail chez l’assureur. J’y suis allé un jour où je me sentais en pleine forme, et je savais que je présentais bien. Je ne me sentais pas l’arabe de service, l’imposteur. Non, je savais que je ferais du bon travail, qu’ils seraient contents de moi. Et le lendemain, ils m’ont rappelé pour un entretien. Et une semaine après, j’étais en poste. Non pas que ce soit le job de ma vie, mais au moins, je gagne un salaire correct et je finis tôt le jeudi pour ma répèt’.

Mme Ramoux m’a ouvert la porte avec un immense sourire. Quel bonheur de la voir. Elle m’attendait, ça lui faisait plaisir de me voir ! Elle a repéré tout de suite ma guitare, car j’enchainais avec ma répèt’ après. Elle a voulu absolument que je lui joue un truc. Jeux interdits, d’abord. Les vieux, ils veulent toujours ça en premier, à croire que l’histoire de la guitare s’est arrêtée là. Elle était ravie et j’ai continué sur deux trois compos jazz que j’aime bien. Ça m’a fait du bien, de jouer quelque chose pour quelqu’un qui apprécie. J’ai remarqué que je n’ai pas eu de mal à discuter avec elle, après. J’aime pas trop discuter, en général, j’aime pas quand ça dégénère.
Elle m’a laissé un bout de papier pour chez moi quand j’irais me coucher. Je comprends pourquoi les parents l’appelaient « la folle » ! Elle ne fait que ce qu’elle sent. Elle est bonne, cette femme. Elle a l’air heureux. Je ne l’ai que rarement entendu critiquer quelqu’un.

       « Ali, crois en ta voix unique. Ta destinée était de choisir ces parents pour oser affirmer la bonté que tu as dans le cœur. Ils t’aiment, autant qu’ils s’aiment eux-mêmes. La haine n’amène jamais de bonheur. L’amour toujours. Restaure ton identité, ta dignité, car tu le vaux bien, et toi seul peut le faire. Et poursuis TA route. Inchallah ! ».
 J’ai pensé en souriant, à la pub L’Oréal, puis j’ai relu le papier. Mes larmes se sont mises à couler. Putain, j’aime pas ça ! Heureusement, j’étais dans mon lit, seul. J’ai accroché ce papier sur mon frigo, et je le relis chaque fois que je l’ouvre. 

                                                                                                                                                                         EM

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