dimanche 8 septembre 2013

L'HISTOIRE D'ALI (Part.14)

   Les concerts du dimanche, dans ce bar chalonnais, étaient une réussite, et le dernier attira tant de monde que le patron les félicita, leur disant qu'il avait fait un excellent chiffre grâce à eux, et leur donna même un supplément d'argent.
Ali se sentait vivant comme jamais, lors des concerts. Il aurait pu jouer devant une seule personne, il s'en fichait, tant qu'il avait sa guitare dans les mains.
   Simone partait en tournée dans le nord de la France, pour deux mois, dans des bars où elle avait des dates, avec de petits cachets. Elle lui avait expliqué qu'elle s'était concocté un itinéraire qui lui permettait de voir en même temps ses amis, et passer à chaque fois une petite semaine sur place. Ali avait peur qu'elle ne lui manque trop, ou plutôt que leur collaboration artistique lui manque. Mais que faire ? Il avait son travail, il ne pouvait partir ainsi... Il se sentait bloqué, stagnant, immobilisé. Mais que faire ? Il se répétait mille fois par jour cette question, qui ne l'aidait pas à avancer. Il venait de recevoir sa 3ème contravention du mois, pour léger excès de vitesse, et avait l'impression que conduire était devenu un piège. Il se demandait s'il y avait un monde plus facile que celui-ci, un monde souple et doux, où les choses se passent comme on le désire, avec facilité et simplicité. "Merde ! pensa-t-il, j'ai quand même envie de la vivre, cette putain de vie ! Et puis, le plus je me sens victime, le moins de forces j'ai, le plus je me fais emmerder !"


      "- Ecoute, un truc est possible, Ali, lui dit Simone avant de partir pour le Nord. Tu me rejoins pour les week end, en général j'ai des dates sur tous les vendredis et samedis soirs. Je ne peux pas vraiment te promettre un salaire, car tu n'es pas compris dans ma petite tournée, mais peut-être y-t-il un moyen de t'héberger, par contre..."
     Ali fut si étonné et si heureux qu'il ne sut quoi répondre. Son esprit ne fit qu'un tour. Bien sûr, qu'il pouvait monter dans le nord un ou deux week end ! Il serait allé n'importe où pour jouer de la musique à des gens qui ont envie de l'écouter ! Il se sentait si en phase musicalement avec Simone, qu'il souhaitait approfondir leur collaboration, et ce qu'ils venaient de faire lors de ce mois, n'était pour lui que l'ébauche de ce qu'ils seraient capable de produire avec plus de temps et de moyens. 
   -"Oui, c'est une bonne idée, répondit-il enfin. Quel dispositif scénique as-tu prévu ? Quels musiciens t'accompagnent ?
   - Et bien, c'est simple, un ami de Lille fait la tournée avec moi. Il a un camion, dans lequel nous mettons mon clavier et sa contrebasse, le matériel de son, et en général on arrive dans l'après-midi dans le lieu pour faire les réglages. Je suis logée chez ma cousine à Lille ; puis dans les différentes villes, soit Xavier, mon ami, soit moi, avons des contacts chez qui je dors. 
   - Mais j'ai jamais répété avec Xavier et toi... 
   - Arrête tes conneries, vu tes capacités d'improvisation, je me fais pas trop de soucis... et puis, je peux te filer un enregistrement des morceaux que l'on va jouer, ainsi tu bosseras chez toi...
   - Dans ce cas, je dis OK. "

   L'organisation fut simple et rapide pour Ali, qui passa la moindre de ses minutes libres à improviser sur les thèmes des chansons de Simone. Il aimait son style, et y apportait une petite touche orientale, qui rendait le mélange plutôt subtile et sensuel. Il avait sauté sur internet pour réserver des billets de train et de covoiturage, et s'était ainsi prévu trois week end. 
   Il arriva un samedi après-midi sur Lille, juste à temps pour la balance, sur une péniche bar/concert. Le soir, dès 22H, il y avait beaucoup de monde, le concert était gratuit, et les gens attendaient quelque chose qui bouge, c'était saturday night fever, god damm it ! Simone avait une petite habitude avant de jouer, qui était de tenir les mains de ceux avec qui elle allait jouer, pendant cinq minutes, ce qui sembla à Ali une éternité. Ils devaient tous fermer les yeux... afin que "l'énergie se communique bien entre eux". Ali, lui, préférait une bière, ce qu'ils firent aussi. L'ambiance sur la péniche était électrique, la salle commençait à se remplir. Les gens arrivaient tard, le week end. 

    Ils commencèrent par une chanson que Simone avait déjà jouée avec Ali, et celui-ci se détendit immédiatement. Xavier était incroyable avec sa contrebasse, alternant la technique du picking et l'archet, produisant des sons très variés, et rythmant beaucoup les chansons. La contrebasse électrifiée donnait une densité incroyable aux chansons, se mêlant parfaitement à la voix de Simone et son clavier, et à la guitare folk d'Ali. Ce dernier avait aussi amené son banjo, pour deux ou trois chansons, pensant que la sonorité originale collerait tout à fait à l'univers barré de la chanteuse. 
   Elle avait des chansons en français et en anglais, et l'univers intimiste de certaines auraient été plus appropriées à un club de jazz sombre, pensait Ali. Elle parlait, murmurait, criait, chantait, produisait des sons bizarres, et avait une présence incroyable sur scène, jouant avec chacune de ses chansons, suivant l'univers évoqué. Ali se sentait un peu coincé, et observait Xavier, qui avait l'air de s'amuser follement avec Simone, leurs solos voix/ contrebasse se répondant, comme un dialogue qui fuse
   A la fin du concert, ils allèrent boire des verres pour fêter leur première collaboration tous les trois. Le concert s'était bien passé, Xavier dit à Ali qu'il pouvait "se lâcher" un peu plus, et tenter des envolées arabisantes, comme il l'avait un peu fait. Le public avait été chaleureux et enthousiaste. "C'est ce que j'aime à Lille, dit Simone, les gens sont hyper réceptifs et ils le montrent. Et puis, ils ne sont pas snobs, ils viennent toujours nous inviter à boire un coup à la fin du concert !"

    Après ce week end de rêve, le retour du dimanche soir ne fut pas des plus faciles pour Ali, qui se sentit envahi par la déprime quand il franchit la porte de son appartement, où la solitude et l'ennui l'assaillirent, sans compter que la seule idée de retourner au bureau le lendemain matin l'emplissait de dégoût.

                                                                                                                                                     EM

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