jeudi 19 avril 2012

Shame et Pranzo Di Ferragosto / Cinéma comparé

          Deux films d'un univers radicalement différent, et pourtant, tous deux montrent l'intimité, dans ce qu'il a de plus charnel (le sexe et la bouffe, la beauté de la jeunesse et la décrépitude de la vieillesse).

         Le lent, long, lyrique Shame (2011) de Steeve Mac Queen nous laisse pénétrer (sans mauvais jeu de mot), dans celle de Brandon, consultant  comme avec les femmes. Le début donne le ton : cadrage étrange, les têtes sont coupées (à moins que ça ne soit encore un coup du projectionniste calamiteux du Rex, et oui, à La Réunion, on est loin de ces considérations esthétiques, n'est-ce pas ?!), et le plan séquence dure assez longtemps pour ne rien perdre de la plastique superbe de Michael Fassbender (extraordinaire) urinant, nu. On rentre de plein fouet dans sa crudité. Il évolue dans un monde d'artifice, celui de la grande ville, ou tout n'est que prétexte à la suractivité, au divertissement, tout... sauf l'authenticité de l'humain. Même le sexe, propos majeur du film, pourtant juste un symptôme de son mal-être, est coupé de ses racines profondes. Vidéo pornos sur internet regardées compulsivement et coup d'un soir rapides, surtout sans se parler. 

         On découvre sa relation avec sa soeur (chanteuse sur le fil du rasoir... au suicide répétitif ) par hasard. Pas d'indices ne peuvent nous dévoiler qu'il s'agit de sa soeur et pas d'une petite amie quelconque. "C'est pas nous qui sommes mauvais, c'est d'où on vient" lui lance-t-elle pour le dédouaner de sa honte d'avoir été surpris en train de se masturber. Le coin du voile se lève doucement, on entrevoit l'évidence : de quoi a-t-il été coupé petit ? Qu'a-t-il vu, vécu, subit ? Le film ne traite pas de ça. Brandon a besoin de fuir cela, au contraire; alors il court. Sublimes scènes de jogging le soir dans NY, sur la musique de son Ipod : les Variations Goldberg, et les vitrines qui défilent. Clin d'oeil au Marathon Man avec Dustin Offman, et ce besoin viscéral d'évacuer la tension par l'effort. Car il vit dans une boîte, descend sous terre pour aller dans sa boîte de travail, s'enferme dans les toilettes pour se masturber compulsivement (comme la course ), pour se caler devant son écran en rentrant chez lui. Quelle vie déshumanisée ! En perte de repère, loin de la nature, de SA nature profonde. Perdue. Et quand les sentiments surgissent avec sa jolie collègue;  il ne supporte pas la vraie intimité, et paralysé, honteux, ne pouvant bander, il préfère payer une prostituée pour avoir sa dose de sexe mécanique. Faire l'amour est trop intime pour lui. Il préfère le sexe.


          Avec Le déjeuner du 15 Août (2008) de et avec Gianni di Gregorio point de sexe, ça serait nettement moins glamour qu'avec Fassbender, moyenne d'âge 90ans ! Le film nous invite dans le quotidien de Gianni, célibataire de 50 ans vivant dans un grand appartement à Rome avec sa vieille mère. Il se retrouve avec 4 autres vieilles dames que leurs fils laissent à Gianni. Car en Italie, les fils s'occupent de leur mère, avec un sens de la culpabilité délicieux. Et l'on rentre dans l'intime des gestes de toilette, de cuisine, de la vie simple qui s'écoule. Faire des courses, éplucher des patates. Le film nous enveloppe dans une chaleur humaine qu'on n'a pas envie de quitter, à l'image des vieilles qui font un caprice pour prolonger le séjour. Car la vie en fait, c'est quoi sinon les rapports humains ? Se toucher, rire, s'embrasser, se disputer, se regarder, se fuir, manger... les personnages sont ancrés dans la vie par leur appétit. Tout tourne autour des menus.
Péché de chair contre la bonne chair. Fuite vaine de l'intime qui vide la vie de sens pour Mac Queen contre promiscuité italienne bruyante et conviviale pour Di Gregorio.

         Quel bonheur de passer d'un univers à l'autre.

                                                                                                                                                  EM

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