mardi 8 juillet 2014

La Survivance de Claudie Hunzinger

    Très beau roman paru en 2012 chez Grasset, de Claudie Hunzinger, artiste et écrivaine depuis 1973 (depuis qu'elle a eu la riche idée de quitter l'Education Nationale ).

                                                           

      Un couple d'ex-libraires d'une soixantaine d'années, Sils et Jenny, est contraint de trouver refuge dans une ferme à moitié en ruine, perdue dans la montagne alsacienne, qu'ils avaient acquis pour une bouchée de pain lors de leurs études. Ils rendent les clés de leur librairie, véritable raison de vivre de ces deux amoureux de la littérature. Le roman décrit avec poésie leur quotidien et leurs amitiés animales, ainsi que leur relation à deux, isolés qu'ils sont et réduits à vivre en autarcie, par manque d'argent et par rejet de la société de consommation et son productivisme.
Constat d'échec ? Pas totalement... Ils se reconnectent à la nature et à l'essence même de la vie, et permettent à leur essence profonde d'émerger ( et surtout au lecteur de suivre leur expérience si enrichissante sur la connaissance de la nature humaine). Au fil des difficultés et des inconforts (l'hiver en altitude dure 7 mois, et qu'il stagne à - 25° en février, sans eau courante ni électricité), on se demande pourquoi ils s'imposent autant d'ascétisme et de dureté.
Le quotidien âpre et dépouillé de ces deux êtres en montre aussi la perdition, et en même temps force le respect. Quel couple digne de ce nom pourrait vivre un an en autarcie, avec pour seule compagnie une ânesse et une chienne dans une masure fissurée avec des bottes de paille en guise de lit ? Ils continuent à échanger, à garder un rythme d'êtres civilisés ( prendre le petit déjeuner, s'inviter courtoisement dans le lit de l'autre, se raconter leurs rêves).
On comprend soudain que se cache là-dessous un complexe de non-appartenance au monde, comme le prouve le malaise de Sils lors du réapprovisionnement mensuel au supermarché. En fait, son monde, c'est Jenny. Ils sont chacun le monde de l'autre, se connaissant depuis le lycée, fans du roman Sans famille, ironisant qu'ils se sentent eux-mêmes sans famille et bien qu'ils aient une famille physique dans la vallée, elle ne semble aucunement présente pour eux dans leur déroute, elle n'apparaît d'ailleurs pas. Ils ne demandent d'aide à personne. Sils s'auto convainc que cette vie est son choix, prenant la posture du rebelle, lui permettant de ne pas perdre la face totalement dans ce lent suicide que représente cette équipée sauvage ( qui n'est pas sans rappeler ce choix du héros narrateur de Into the Wild qui décide de se retirer, car il ne se sent plus vraiment à sa place dans le monde, et dont les racines du "déracinement" justement sont aussi dans le manque d'amour ou de reconnaissance familial). Le sentiment de profonde tristesse de Sils est un indicateur constant de cette erreur de chemin. Stérile et sans avenir. Jenny est la seule à ne pas perdre tout à fait les repères d'une vie féconde, en restant connectée aux autres, aux animaux, en cuisinant, et en relativisant ses angoisses nocturnes pour retourner à la "tranquillité du monde", et de" ses vêtements en petits tas dans sa chambre".
Peu à peu,  on sombre dans un renoncement aux joies de la vie terrestre incarnée. Loin d'être une retraite paisible et désirée, ils se terrent, pour ne plus gêner, évincés de la société du travail qui leur a signifié qu'ils ne sont plus utile, se sentant de moins en moins légitimes ou intégré à la société humaine. La question de la transmission est évoqué par eux deux à plusieurs reprises, par les mots d"héritage". A qui léguer leurs livres ? et les pigments de couleur que Sils s'évertue à trouver dans les pierres ?
Sils se sent mourir. Qu'est une vie coupée des autres ? Coupée de l'échange ? De l'amour ?  Il sacrifie sa vie et son talent, il ne les vit pas vraiment, cela reste en marge, en survie. 
Pourquoi ce renoncement, si ce n'est ce sentiment de non appartenance initial et familial qui semble les rattraper ?  Les voilà engagés sur un chemin de mort, loin du monde vivant, de la grande famille que sont les autres. 
Une hibernation dans une tombe à ciel ouvert que cette survivance dans cette maison, qui elle aussi s'avérera illégitime, n'ayant même pas sa place sur le cadastre. 
J'ai beaucoup aimé la profondeur de la pensée, la justesse de l'expérience décrite, la beauté de la nature et la tendre description des animaux,  et les questions essentielles que cet ouvrage permet sur ce qu'est une vie humaine réussie.
A lire dans la montagne !

                                                                                                                                           EM

1 commentaire:

  1. ca peut être intéressant -je vais partir à la recherche de ce livre

    BISES lili

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