lundi 8 juillet 2013

L'HISTOIRE D'ALI (Part. 4)

    S'appuyer sur. To lean on. Someone. Somebody. Un arbre. Quelqu'un. Ne pas penser, ne pas réfléchir. Ali sursauta dans son sommeil et se réveilla avec ces mots en tête.
C'était dimanche, il était midi, Ali se leva. Il se dirigea machinalement dans la cuisine où il rangea la vaisselle sur l'égouttoir pendant que son café coulait ; la première tâche qu'il faisait en se levant. L'ordre le rassurait.
Vers 13h, il sortit, prit sa voiture et roula, jusqu'à une rivière où il savait pouvoir se trouver seul. Il s'adossa à un arbre, assis, et contempla l'onde verte, finement troublée de petites vaguelettes. La nature était magnifique en ce mois de juillet, et les arbres majestueux se courbaient vers l'eau sombre, comme s'ils voulaient l'embrasser. Ali aimait contempler le paysage, car peu à peu, chaque détail se détachait et devenait un spectacle captivant pour son oeil aguerri. Il aimait la douceur de la nature car il n'était pas obligé à être autre que ce qu'il était, en silence. Toute la semaine, il souriait, parlait, comptait, rangeait, instruisait des dossiers d'assurance. Il rassurait les gens en leur faisant peur. Il leur faisait miroiter les pires éventualités, pour leur asséner le coup de grâce final : grâce à la formule complète (une petite fortune, soit dit en passant ), leur avenir était assuré. Tout irait bien, car même le malheur leur rapporterait. 

     Il s'entendait avec ses collègues sans toutefois se sentir sur la même longueur d'onde. Toujours parler du dernier achat de voiture ou de machine à laver finissait par lui sembler bien vain. La vacuité l'angoissait et le rendait vide. Vide de sens, d'énergie, de vie. Sa soupape de sécurité était un jour par semaine : le dimanche, il redevenait sauvage. 
     Son mal être, il le savait, tenait sa source dans son déracinement originel. Il avait toujours senti qu'il avait eu à se faire accepter de sa famille, que rien n'était acquis. Même sa place de fils, il avait dû la gagner chèrement. Il serait peut-être temps de dépasser tout cela. Il n'attendait plus rien de sa famille, alors à quoi bon rester ? L'appartement familial ? Sa mère, qui ne le reconnaissait même plus ? Son frère, avec qui il ne parlait plus ? On reste souvent parce qu'on attend quelque chose qui nous manque, et qui par définition ne viendra pas, puisque cela n'a jamais existé. Autant aller le chercher ailleurs.


    Il pensa qu'on était dimanche, que Youssef devait être seul dans l'appartement, sa mère, seule, à l'hôpital, son frère, seul, sa compagne infirmière travaillant fréquemment le week end. Tous seuls, en somme. Chacun seul dans son coin. Même réunis, nous nous sentirions seuls, de toute façon, pensa Ali. L'important étant encore de se sentir soi, avec les autres. Inter reliés. 

     "Ali, Ali ..." semblaient lui murmurer les grands pins. "Viens, réveille toi, entre dans la vie, ne reste pas à la lisière. Va, fais, dis...", le vent dans les branches formait une mélopée singulière. "Lève toi, mais lève toi enfin, redresse toi, réveille toi, remets toi en selle, regarde toi,  REVIENS A LA VIE. "

                                                                                                                                                            EM

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