dimanche 29 décembre 2013

L'HISTOIRE D'ALI (Part.23)

   Ses guitares chargées à l'arrière de sa voiture, des vêtements entassés dans deux grands sacs, quelques bouquins, Ali prit la route. Il se mit au volant et commença à conduire jusqu'à l'entrée de l'autoroute : nord ou sud ? Il n'avait pas de plan, et aucune envie de réfléchir. Il avait assez sur son compte pour faire le plein jusqu'à plus soif, et deux bras bien assez bons pour faire ce qu'il voulait. Il avait envie de soleil... mais la pensée de Simone et son monde magique de musique l'attirait fortement. Partir, oui, mais pour aller où ? Pour faire quoi ?

   Il s'arrêta à la station service, s'alluma une cigarette, et lorsque le pompiste s'approcha de lui, et lui lança : "Vous perdez le nord, mon jeune ami ? " 
Ali, perdu dans sa réflexion, sursauta  : "Hein ?"
"On fume pas si prêt des pompes ! "
Ali écrasa sa cigarette et répéta : "Ouais, j'avais perdu le nord, mais là j'y retourne, justement.."
Le pompiste ne répondit rien, puis lui lança très fort, alors qu'Ali avait déjà démarré : " Bon voyage, alors !"


   Fort de ce présage digne de la Pythie, il se lança sur l'A7 direction Paris, avec l'enthousiasme et la fougue de Thelma et Louise, les bavardages en moins. Il s'arrêta dans le centre de Dijon, pour prendre un café et entra dans la cathédrale médiévale du centre. Les gargouilles le surplombaient, il n'en voyait que le dessous. Leurs têtes monstrueuses et amusantes se décollaient sur le ciel blanc typiquement dijonnais. Ville froide, heureusement que tu as la moutarde pour te rattraper, songea Ali. 
Il reprit le volant et en passant devant la Vapeur, sa salle de concert fétiche, il pensa qu'il y jouerait sans doute un jour.


   Il arriva à Paris en fin d'après-midi et appela son cousin Akim, un des seuls avec qu'il avait encore des rapports. Ils se voyaient très peu, mais Ali savait qu'il pouvait compter sur lui sans problème. D'ailleurs, Akim décrocha tout de suite, et sembla ravi d'entendre la voix de son cousin. Il se rendit donc dans le 93, et grimpa les 8 étages de la tour B du bâtiment où logeait son cousin, sa femme et leurs deux enfants. Quand il entra dans l'appartement d'Akim, il sentit en une seconde l'atmosphère étriquée qui y régnait, et en même temps si modestement familière : une TV écran géant trônait au centre du salon, la console vidéo branchée dessus, une table basse ronde marocaine en métal ornée d'un service à thé, une grande table en verre et fer forgé, et un coucher de soleil encadré au mur. Voilà la vie de son cousin. Ali était content d'être passé au débotté, sans y avoir réfléchi, sinon il ne serait jamais venu. Ils avaient été comme des frères, petits, et même s'ils avaient chacun évolué très différemment, ils pouvaient rester une heure en silence sur la canapé à siroter leur thé à la menthe, préparé par Latiffa. Akim voulut le retenir quelques jours, mais Ali n'eut qu'à dire : "Je dois aller chercher ma future femme", pour stopper toute question. Akim ne sembla rien avoir à répondre à cela. 

   En reprenant le volant, Ali éclata de rire : "charmouta, qu'est-ce qu'il faut pas raconter, quand même ?! Aller chercher ma femme ? Au secours ! Mais pourquoi j'ai été raconté ça ? Héhéhéhé, en même temps, il ne m'a pas emmerdé après... Simone, bouge pas, j'ai la bague, j'arrive, hamdoulilah ! "
Il se sentait d'humeur joyeuse, et n'avait aucune idée d'où pouvait bien être Simone. Leurs contacts n'avaient pas été très fructueux depuis qu'ils avaient passé une nuit ensemble, le hasard semblant décidé à ne pas les mettre en lien. Il avait essayé de la joindre une fois, mais elle n'avait pas répondu, et il s'était soudain senti très con en entendant son message de répondeur, et plus du tout sûr de ce qu'il voulait avec elle. Et puis elle ne semblait pas l'avoir rappelé non plus. Il avait simplement envie d'aventure, de l'opposé de sa petite vie rangée et conventionnelle d'agent d'assurance raté chez ses désaxés d'Axa, de sa place de fils oublié dans sa famille rassie et aigrie, d'être enfin quelqu'un, juste quelqu'un qui vit vraiment sa vie. Être sur les routes, comme dans ces road movies qu'il affectionnait tant avec le vieux... Ils aimaient se mettre le dimanche soir devant le film de la 1 ou la 2, et se délectaient des westerns et des road movies. Bagdad Café, Paris Texas, Easy Rider... Un brin de désespoir, de mélancolie, l'oeil sombre mais où se reflétait l'amour cru de la vie, de la musique, un amour inespéré qui termine mal : le parfait cocktail pour se sentir vivant ! songea Ali en inspirant à plein nez l'air par la fenêtre ouverte. Tous ces cons qui prennent l'avion perdent quelque chose ! Rien ne vaut la liberté de conduire sa voiture et de s'arrêter où bon te semble. 

   Il passa la journée à Paris, et se retrouva sous la Tour Eiffel sans même comprendre pourquoi. Avec tous les japonais autour, il se sentit un peu hors de France, mais quand il se tourna vers Elle, Elle l'écrasa de sa majesté. C'était la 1ère fois qu'il la voyait en vrai :  "C'est con ces choses, quand tu les vois à la TV. En vrai, ça a de la gueule, comme une présence". Il se sentit transporté, une impression d'être là. Ici. C'était lui, là, Ali. Un peu d'ici, un peu d'ailleurs, un peu ovni, très humain finalement, pas franchement reconnu comme tel par ses pairs, qu'importe maintenant, il touchait la Tour Eiffel, effet talisman contre le mauvais oeil : à nous deux le Nord !
                                                                                                                                                         EM

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